Mise en relation et vision d'ensemble

Publié le par BOUARD Ophélie - CANETTE Laure - FABRY Lucie - PERROUAS Gabrielle -




         Une notion capitale dans un film de guerre, c'est la représentation de la violence. L'oeuvre de Gustav Hasford montre le conflit du point de vue d'un Marine : la violence est omniprésente, quotidienne, elle ne fait plus l'objet que de quelques courtes remarques relatant là une fusillade, là la conservation minutieuse des pieds coupés des "victimes confirmées". Sans description, sans dénonciation, c'est ce point de vue interne, s'approchant du témoignage, qui présente le conflit et marque le lecteur. Kubrick, dans son adaptation à l'écran, se démarque en ce point du roman. Comme nous l'avons montré dans la partie de notre TPE consacrée aux représentations cinématographiques de la guerre du Vietnam, Full Metal Jacket s'inscrit dans une démarche de films réalistes, tout comme Platoon, Hamburger Hill ou Good Morning Vietnam, et la représentation de la violence y prend un sens quasi historique. C'est dans cette optique qu'Oliver Stone ou John Irvin ont représenté dans leur film l'omniprésence du danger, de la violence, des pertes humaines, du sang et des cadavres. Kubrick s'en démarque et innove dans le choix d'une représentation "épurée", il prend une certaine distance vis-à-vis de l'oeuvre originale : Joker n'est pas blessé, n'utilise jamais son arme, n'a pas de "victime confirmée"... Durant toute la partie du film qui se déroule au Vietnam, on ne voit que deux Américains blessés. La chute de ces deux Marines à la suite des tirs d'un sniper est très théâtralisée : celle-ci est ralentie pour accentuer le mouvement des corps et le sang qui gicle, invraisemblablement rouge et éclatant. Cette longue scène de tir du sniper, qui est la seule véritable scène de combat du film, pourrait s'apparenter à une tragédie classique tant sa force est considérable : le sniper caché comme une illustration de la fatalité dont le tir s'abat sur les soldats, qui pourtant s'élancent un par un vers le bâtiment. Il y a donc peu de scènes de violences dans Full Metal Jacket, mais la mise en scène de celles-ci, par un éloignement de la réalité historique, leur confère un impact considérable qui passe par l'art et la psychologie. En effet, et c'est une véritable révolution dans l'histoire du cinéma sur la guerre du Vietnam, l'oeuvre de Kubrick est principalement axée sur la psychologie de Joker et des autres Marines. La première partie du film, très fidèle à la partie du livre "L'esprit de la baïonnette", est particulièrement innovatrice : on n'avait jamais porté à l'écran la formation de ces machines à tuer, l'aliénation progressive de ces "Américains comme les autres" au cours de leur entraînement à Paris Island. Dès le générique, qui montre la "tonte" mécanique de chaque futur Marine à son entrée au camp, Kubrick illustre avec force cette perte de la notion d'individu, qui une fois formé ne sera plus qu'une arme "indestructible"... On voit dans cette première partie ce "reformatage" de l'être, que Kubrick orne de dialogues au comique amer, et qui se clot par le suicide de "Baleine", personnage que le spectateur suit depuis le début de sa formation, rendu fou par la violence psychologique de son entraînement. Cette illustration des ravages psychologiques de la formation sur ce groupe de jeunes hommes a un fort impact sur le spectateur, qui reste sans voix. On reconnaît bien là l'oeuvre du réalisateur d'Orange mécanique, sorti en 1971 d'après le roman d'Anthony Burgess, dans lequel on voit le jeune héros Alex subir une "thérapie révolutionnaire" organisée par un État totalitaire dans le but de le rendre inoffensif : c'est la violence psychologique qui choque le spectateur, et qui confère à la violence physique tout son pouvoir de dénonciation.

         Si l'on regarde la filmographie de Stanley Kubrick dans son ensemble, on constate que, tout comme Full Metal Jacket, beaucoup de ses films sont des adaptations de romans, plus ou moins illustres. Nous pouvons citer, outre Orange Mécanique dont nous avons déjà parlé, 2001 L'Odyssée de l'Espace d'après Clark, Spartacus d'après Koestler, Lolita d'après Nabokov, Shining d'après Stephen King ou bien encore Eyes Wide Shut d'après Schnitzler ; sur ses treize longs métrages, onze sont des adaptations de roman. À propos de l'adaptation cinématographique d'oeuvres littéraires, Kubrick déclare : "Le roman parfait pour qui veut en tirer un film, c'est le roman qui se soucie surtout de la vie intérieure des personnages. Il donne à qui l'adapte une boussole irréfutable indiquant ce qu'un personnage pense ou ressent à n'importe quel moment. À partir de cela, l'adaptateur peut inventer des actions qui seront le corrélatif objectif du contenu psychologique de livre et qui lui donneront une forme dramatique sans manquer de fidélité." . Nous retrouvons tous ces aspects de l'adaptation dans Full Metal Jacket. En effet, le roman de Gustav Hasford, par le choix d'un point de vue interne et de différents procédés littéraires, donne de nombreuses informations sur la psychologie de Joker pendant sa formation, puis une fois au Vietnam. De plus, l'extrait que nous avons analysé consistant en une dissociation du Mental, du Corps et de l'Esprit de Joker inconscient permet au lecteur de compléter sa vision du personnage, en "dépassant le point de vue interne". Kubrick a choisi de ne pas retranscrire cet extrait du livre, et s'il a respecté très fidèlement la première partie du Merdier, les deux autres parties "Victimes confirmées" et "Les grognards" n'ont plus grand chose à voir avec Full Metal Jacket. Pour faire son film, Kubrick a choisi en effet de supprimer de nombreux passages, car il était confronté à des problèmes variés (comment retranscrire un livre de 250 pages dans un film de deux heures ? comment tourner les scènes se déroulant en pleine jungle en choisissant de reconstruire tous les décors à Londres ?...), ou car certains passages ne correspondaient sans doute pas au ton qu'il voulait donner à l'ensemble de son film. L'action semble de ce fait "simplifiée" lors du passage du livre au film, centrée sur ses aspects fondamentaux. Parallèlement, Kubrick a également innové : le film comporte des scènes dont on ne trouve aucune trace dans le livre. C'est le cas de la séquence que nous avons étudiée sur "Surfin' bird", durant laquelle on voit les soldats filmés sur le champ de bataille, ou du générique, dont nous avons déjà parlé. La quasi totalité de ces innovations ont pour but de donner au spectateur une meilleur connaissance de la psychologie des personnages, au coeur de Full Metal Jacket. Stanley Kubrick a également choisi de donner plus d'importance à certains aspects du livre, comme le paradoxal "BORN TO KILL" associé à un symbole de paix, qu'il utilise pour souligner la dualité psychologique du héros. Le réalisateur n'a pas hésité à modifier totalement la fin de l'épisode de l'attaque du sniper pour montrer que Joker n'a pas perdu toute son humanité lors de sa formation, puisqu'il met aux souffrances du sniper qui s'est révélé être une très jeune Vietcong. Pourtant, il apparaît que ces nombreuses divergences entre l'oeuvre de Kubrick et celle d'Hasford sont nécessaires pour qu'une forme artistique avec toutes ses spécificités en retranscrive une autre. Full Metal Jacket répond ainsi à toutes les exigences du cinéma tout en restant fidèle au roman d'origine, et donc fidèle à la réalité historique. "Je crois que le devoir du réalisateur, c'est une fidélité totale à ce que l'auteur a voulu dire, c'est de ne rien sacrifier de cette signification pour obtenir un effet ou un paroxysme dramatique".                  


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