Etude comparée (1)

Publié le par BOUARD Ophélie - CANETTE Laure - FABRY Lucie - PERROUAS Gabrielle -

Scène commune livre/film : La prière du fusil

Cette scène se situe dans la première partie du film comme du livre où l'on assiste à la formation de Marine du protagoniste Joker au camp d'entrainement de Parris Island.


C'est la nuit à Parris Island. Nous nous tenons au garde-à-vous en attendant que le sergent Gerheim hurle son dernier ordre de la journée : "Préparez-vous à vous coucher... A mon commandement... COUCHES !" L'instant d'après, nous sommes allongés sur le dos en maillot de corps et en slip, au garde-à-vous, le fusil à l'épaule.
 Nous disons nos prières :
 Je suis une recrue du Corps des Marines des États-Unis. Je sers dans les forces qui protègent mon pays et ses valeurs. Je suis prêt à donner ma vie pour les défendre, avec l'aide de Dieu... GUNG HO ! GUNG HO ! GUNG HO !
 Puis c'est le credo du fusilier marin, écrit par le général en chef du Corps des Marines, W. H. Rupertus :
 Ceci est mon fusil. Il en existe beaucoup de semblables mais celui-ci est le mien. Mon fusil est mon meilleur ami. Il est ma vie. Je suis son maître, comme je suis maître de ma vie.
 Sans moi, mon fusil est inutile. C'est par ma volonté que la vérité sort de sa gueule. Je dois tirer mieux que mon ennemi qui tente de me tuer. Je dois le tuer avant qu'il me tue.
 Ainsi soit-il !


     Gustav Hasford retranscrit ici une scène qui constitue un rituel : tous les soirs, les Marines en formation récitent leur "prière" puis le "credo" sous le commandement du sergent instructeur. Précédée d'un court passage au discours indirect, cette prière commune se compose de deux parties distinctes, séparées par des cris de guerre "GUNG HO!". Nous allons démontrer que ces "prières"  détournent la religion, détournement qui oeuvre pour la déshumanisation et qui fait partie du bourrage de crâne belliciste.

     Dans un premier temps, la "prière" définit le Marine : son rôle, ses valeurs, sa fonction au sein du Corps des Marines, et son asservissement à la nation. La religion semble omniprésente, tant dans l'acte même de la prière que dans l'évocation de Dieu, présenté comme le défenseur des valeurs américaines ("avec l'aide de Dieu"). Cette "prière", introduisant le "credo", se caractérise par son unité, qui passe par l'unisson des voix de centaines de Marines, récitant exactement la même "prière", semblant partager les mêmes valeurs, ainsi que la même soumission aux ordres du sergent. 
Séparant la "prière" du "credo", la répétition du cri de guerre  officiel du Corps des Marines "GUNG HO", qui signifie littéralement "travaillons ensemble" augmente l'intensité des paroles prononcées : les Marines s'apprêtent à "hurler avec ferveur" le "credo". 
      Le "credo" est, par définition, une prière catholique récitée à chaque messe. En réalité, il apparaît très vite que ce que le narrateur nomme conventionnellement "credo" n'a de commun avec cette définition que l'aspect rituel et l'unisson, et se révèle être un hymne au fusil, texte officiel du Corps des Marines.
Cet hymne passe par la personnification du fusil, tantôt "meilleur ami" du Marine et tantôt sa "vie" même, qui permet de donner à l'arme un poids sentimental, renforcé par le fait que les Marines dorment avec leur fusil.  Le nombre important de pronoms possessifs renforce cette personnification et lie le Marine à son fusil : un simple fusil semblable à tant d'autres devient alors un objet d'une valeur comparable à une personne ou à une vie. Dans le second paragraphe, le fusil est présenté comme un instrument de guerre qui avec le soldat forme un duo inséparable : le fusil personnifié ET le Marine qui protège et défend les valeurs des États Unis (selon la "prière"). Mais c'est grâce au fusil que le Marine assure la fonction envers son pays, fonction qui passe par la guerre, ici qualifiée de "vérité". Le Marine doit alors tirer sur l'ennemi avant que celui-ci le fasse, il est alors comme son fusil, une machine de guerre servant à tuer. Cette prière se termine par "ainsi soit-il !" terme liturgique, ce qui montre bien que les Marines récitent cela comme ils réciteraient une "prière" pendant l'office religieux. L'aspect religieux du discours est renforcé par sa composition, celui ci ne comprenant en effet que des phrases courtes sans exclamation, très proche de la rédaction habituelle des prières.
      Ce rituel se déroule donc à la manière d'un office religieux où le prêtre serait le sergent instructeur, les fidèles seraient les Marines qui tous ensemble récitent les prières. Cependant les Marines ne font qu'obéir aux ordres du sergent instructeur, sont tous allongés au côté de leur fusil, auquel ils répètent quotidiennement un hommage appris par coeur. Nous comprenons donc que cette prière ne s'adresse pas à Dieu, qu'aucune communion n'est le véritable enjeux de ce rituel, mais que les instructeurs détournent des coutumes religieuses dans le but de faire répéter quotidiennement les valeurs du "bon" Marine aux soldats en formation. La religion est ainsi détournée, utilisée à l'encontre de ses valeurs premières car faisant partie intégrante du bourrage de crâne belliciste. La foi en Dieu se transforme au fil des jours en une foi en l'armée, une foi en sa propre capacité à tuer pour servir le Corps des Marines, du fait de la répétition mécanique. En plaçant la cause américaine sous la protection du sacré, en concluant un discours au présent de vérité générale par "ainsi soit-il", l'instructeur créé un envoûtement et finit par persuader le Marine de paroles qu'il récite sans réfléchir. Car il ne fait aucun doute que ce sont les phrases de ce credo qui viendront automatiquement à l'esprit du soldat une fois au front.


      Dans la partie de notre tpe consacrée aux Marines, nous avons retranscrit dans son intégralité l'UFMC Rifle Creed. Nous constatons que dans cet extrait le "credo" correspond mot à mot au texte écrit par le général de division William Rupertus. Cet extrait représente ainsi parfaitement l'oeuvre Gustav Hasford dans son ensemble, alliant la littérature aux vérités historiques pour donner plus d'ampleur à un témoignage. L'omniprésence du "nous", sujet des verbes du discours indirect, souligne la progressive perte du "je", due à la mécanisation physique et morale imposée par le camp de formation. La première personne du singulier est pourtant omniprésente dans le discours direct, composé de phrases apprises par coeur et récitées sous les ordres du commandant. Cette modification pronominale résume donc à elle seule l'évolution de Joker au sein de cette première partie du récit : l'individu progressivement déshumanisé devient un élément d'une machine de guerre au fil des ordres et des humiliations, avant de devenir une arme à part entière, un nouvel individu programmé pour tuer sous le drapeau américain. C'est précisément de cette alliance du discours indirect, résultant d'une véritable recherche littéraire du mot juste, et du discours direct qui retranscrit en détail des aspects officiels de la guerre du vietnam, que l'oeuvre de Gustav Hasford tire tout son pouvoir de persuasion. Ce conflit, décrit dans tous ces aspects par un ancien Marine sans être jamais critiqué ni dénoncé explicitement est finalement trahi de l'intérieur par les différents procédés littéraires dont use l'écrivain, comme la surabondance de phrases simples, l'utilisation du système temporel du présent, une recherche lexicale approfondie (argot militaire, non respect des règles grammaticales au sein du discours direct, comparaisons souvent très crues...), un jeu sur la typographie (tous les cris, ordres et insultes sont retranscrits en lettres capitales) ... qui plonge le lecteur dans l'univers d'un Marine et lui fait prendre conscience de l'horreur des évènements vécus.

 

 

Séquence livre/film 0’09’’30-0’11’’40
 
 Cette séquence est encadrée par deux entraînements qui ont pour but d’apprendre aux Marines de placer correctement leur fusil sur le torse.
 
Nous ferons donc une étude linéaire (plan par plan) de cet extrait pour mieux dégager les ressemblances évidentes entre le film et le récit.
 
           Le 1er plan débute par un travelling horizontal de droite à gauche qui cadre le Sergent aux genoux. Ce plan permet de nous montrer l’uniformité de la salle et des soldats, où tout y est vertical, des poteaux des lits, aux Marines en passant par les poteaux centraux cela nous montre également la grande superficie de cette salle.
          On peut remarquer que les Marines sont près de leur lit derrières les poteaux, ainsi on pourrait tracer une ligne imaginaire, rectangulaire (englobant tous les poteaux) qui isolerait le sergent de ces jeunes recrues et le placerait en état de supériorité.
          On découvre donc le lieu où vont évoluer les Marines lorsqu’ils ne sont pas à l’entraînement. Vaste salle composée d’un sol rouge sang qui annonce l’horreur de la guerre et les futurs massacres auxquels sont promus les Marines, mais aussi de murs verts clairs et de couvertures kakis qui quant à eux, symbolisent la jungle et annonce le lieu où va se dérouler leur combats, le Vietnam.
Les poteaux qui sont également filmés cachent à intervalles réguliers le sergent. Cela donne de l’intensité et du réalisme à la scène.
           Le deuxième plan cadre Joker aux genoux, Il se trouve quasiment à l’extrême gauche de l’image ce qui permet de voir la file de tous les Marines à sa gauche qui obéissent simultanément à la voix du Sergent (hors-champ). La profondeur du champ donne une impression d’uniformité et d’infinité. On ne peut distinguer combien il y a exactement de Marines. Un léger panoramique qui montre « le  recul » des soldats confirme cette idée d’uniformité, de dressage humain, de discipline stricte.
3ème plan : Plan poitrine sur la tête du sergent qui donne un ordre, qui se répercute dans le plan suivant aux oreilles des Marines qui obéissent instantanément. 
Le 4ème plan accentue la profondeur de la pièce et donne toujours une impression d’infini. Le parallélisme des soldats entre eux illustre bien la rigueur millimétrée du service militaire.
5ème plan : idem 3ème plan.
Le sixième plan (plan de demi-ensemble) donne une impression de « diffusion du geste » (mais toujours simultanément). La perspective illustre une fois de plus l’idée d’uniformité de l’environnement (lits…), des Marines (qui ne forme plus qu’un, LE United States Marine Corps), et des actions.
7ème plan : idem 3ème et 5ème plans. Il y a donc eu une construction symétrique de la séquence. Une alternance entre le Sergent puis les Marines qui obéissent à ses ordres.
Les huitièmes et neuvièmes plans montrent respectivement Joker puis Cow-boy en plan de demi-ensemble. Les lits alignés forment implicitement une sorte de tunnel (qui les mènera jusqu’au Vietnam ?). De plus les fusils dirigés en épis forment quant à eux une protection contre ce futur tunnel, ce futur sentier zigzaguant qu’ils risquent d’emprunter.
10ème plan : Ce plan poitrine du profil de Joker nous permet d’entendre sa voix, de l’identifier. Ce visage nous amène à penser que tous ces hommes ne forment qu’un, et qu’ils devront donc combattre ensemble (cf cri de guerre) dans un même esprit,  mais en même temps qu’ils ont chacun une personnalité propre que l’intégration du corps des Marines va leur ôter pour les transformer en « machines à tuer ».
11ème plan : Sorte de plan rapproché taille, en plongée sur Baleine qui a l’air plus détendu que les autres Marines et de son massif fusil.
12ème plan (assez court) : Plan américain sur le sergent, on entend la voix des Marines hors champ.
13ème plan (très court) : Les Marines posent d’un même geste leur fusil, leur « vie ».
 14ème plan : Le Sergent éteint la lumière et s’en va. Les Marines peuvent enfin s’endormir. Fin de la séquence.


           La scène de Kubrick est très similaire à l'extrait du livre. Cependant des différences subsistent, la plus frappante étant la première prise de parole du Sergent, absente du livre. En effet, celle ci insiste sur la solitude forcée du soldat, et le rapport sentimental que celui ci doit entretenir avec son fusil. Les propos du sergent sont plus agressifs, offensant et grossiers dans le film. Cette omniprésence de la violence et de la solitude, présente plus implicitement dans le livre, est clairement dénoncée dans le film. L'égalité des soldats, subissant tous la dureté des conditions de formation, est ici traduite par le réalisateur par de nombreux parallélismes et une uniformité des couleurs. Les différents plans sur les soldats, ainsi que l'association son-image, permettent de traduire l'intensité du moment et l'envoûtement de cet hymne au fusil prononcé à l'unisson. Les différences que l'on trouve entre les paroles de la prière du livre et celles du film sont sans doute dûes à différents choix de traduction, on peut cependant constater que Kubrick reste ici très proche du discours tenu par Hasford, et donc très proche de la vérité historique. Ce réalisme est également renforcé par le fait que l'acteur incarnant le sergent instructeur est quasiment dans son propre rôle et a improvisé la plupart de ses répliques.



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