Etude comparée (2)

Publié le par BOUARD Ophélie - CANETTE Laure - FABRY Lucie - PERROUAS Gabrielle -

Scène uniquement dans le livre


Située dans la deuxième partie du Merdier ,  "Victimes confirmées", ce passage s'étend de la page 129 à la page 131. Joker est inconscient, blessé au cours d'une offensive par l'explosion d'un obus. 

 

Dans ce rêve dopé de la mort, tu es une pub de recrutement clouée sur un mur noir : "LES MARINES FORGENT DES HOMMES - LE CORPS - LE MENTAL - L'ESPRIT." Tu te disloques en trois morceaux... Tu entends d'étranges voix... 

   Qu'est-ce qui ne va pas ? dit une voix, troublée et effrayée. Il ya quelque chose qui
cloche.
- Qui vient de parler ?
- Quoi ?
- Qui es là ?
- Je suis le Mental. Et toi tu es...
- Oui, c'est ça, je suis son Corps. Je ne me sens pas bien...
- Tout ceci est proprement ridicule, interjecte une troisième voix. Tout ceci est impossible.
- Qui a dit cela ? demande le Mental. Hé ! toi, le Corps ? C'est toi qui as dit ça ?
- Mais non, c'est pas lui, idiot. C'est moi. Tu peux m'appeler l'Esprit."
   Le Corps émet un rire sardonique : " Vous êtes tous les deux des menteurs. Je ne vous crois pas.
- Allons allons, dit doucement le Mental, restons rationnel, notre bonhomme a été descendu. Il faut s'organiser."
   Le Corps gémit : " Ecoutez, les gars, c'est moi qui suis là à terre - pas vous. Vous ne savez pas ce que c'est."
   Le Mental rétorque : "Ecoute espèce de demeuré, on est tous dans cette merde ensemble. Si l'autre s'en va on part tous.
- Est-ce qu'il est..." Le Corps ne parvient pas à prononcer le mot. "Il faut que je survive.
- Non, fait observer le Mental. Pas forcément. Ce sont eux, les autres qui jouent à ce jeu. Je ne suis pas sur que nous ayons le droit d'intervenir."
   Le Corps est horrifié. "De quel "jeu" parles-tu ?
- Je n'en suis pas sûr. C'est un jeu avec des règles. Ils ont beaucoup de règles."
   L'Esprit soupire : "Il commence à me les pomper, ce mec. Je vais me casser."
   Le Mental l'apostrophe : "Il faut que tu reviennes.
- Pas du tout, rétorque l'Esprit. Je fais comme il me plaît. Ni toi ni lui, n'avez aucun contrôle sur moi.
- Laisse-le tomber", dit le Corps au Mental.
   Le Mental insiste : Mais l'Esprit doit revenir avec nous.
- Non. Nous n'avons pas besoin de lui."
   Le Mental analyse la situation. "Peut-être l'Esprit a-t-il des arguments fondés. Peut-être devrais-je me casser aussi.
- NON ! JE VOUS EN SUPPLIE..., hurle le Corps.
- Mais à tout bien considérer, poursuit le Mental, partir n'aboutirait à rien. Nos actes n'ont, de toute façon, aucune influence sur le jeu qu'ils jouent. La perte d'un homme ne change en rien les données du jeu. En fait, perdre des hommes semble être justement tout l'intérêt du jeu. Soyons pratiques. Allez, viens, le Corps, on revient dans le monde réel."
   L'Esprit annonce alors : "Dites-lui, à cet homme, que je suis porté disparu au combat."

 




         Ayant subi le bourrage de crâne belliciste dans la première partie du roman au camp des marines "L'esprit de la baïonnette", Joker se considère, selon les affiches de propagande de recrutement, comme un tout, composé de trois parties distinctes : le Corps, le Mental et l'Esprit. La blessure physique ressentie à la suite du bombardement se traduit tout de suite par la souffrance du Corps, qui entre en "dialogue" avec le Mental et l'Esprit pour les convaincre de tout mettre en oeuvre pour que Joker survive. En effet, rapidement inconscient, Joker "se disloque en trois morceaux" (p.129), qui dialoguent entre eux, ayant chacun leur point de vue. Nous allons démontrer que ce passage symbolise la perte de l'intégrité de Joker, perte d'une partie de son humanité qui le fait réellement devenir soldat.


         Nous allons tout d'abord chercher à définir précisément les différences et les caractéristiques de ces trois ensembles qui composent l'individu. Selon le dictionnaire, le Corps est la partie matérielle des être animés, l'organisme humain par opposition à l'Esprit et à l'âme. Quant à l'Esprit, de spiritus = le souffle , c'est le principe de la vie incorporelle de l'homme, terme qui comporte également une forte connotation religieuse ; dans la Bible, l'Esprit est le Souffle de Dieu "l'esprit souffle où il veut" . Le Mental,  de mens, mentis = l'esprit, c'est ce qui a rapport aux fonctions intellectuelles de l'esprit. Nous constatons que le dictionnaire propose une définition générale de ces trois termes dans laquelle le Mental est présenté comme une partie indissociable de l'Esprit. Pourtant, l'extrait étudié leur donne à chacun un point de vue distinct ; ils se contredisent même parfois (l'Esprit, p.130, en parlant du Mental "Il commence à me les pomper, ce mec. "). 
         Dans l'extrait, le Corps représente bien la partie matérielle, physique de Joker. Le Mental, lui incarne toutes les notions et les valeurs inculquées par l'armée : rationalisation, organisation "Restons rationnels, notre bonhomme a été descendu, il faut s'organiser" (p130), capacité à analyser la situation ; il cherche à comprendre ce qui arrive "La perte d'un homme ne change en rien les données du jeu". En cela, il s'oppose fondamentalement à l'Esprit, qui représente les pensées profondes de Joker, celles qui n'ont pas été modifiée par le camp d'entraînement des marines. L'Esprit rejette la guerre "Tout ceci est proprement ridicule [...] impossible.", veut abandonner le Corps et l'Esprit pour cesser le combat "Je vais me casser" "Je fais comme il me plaît", ose se montrer lâche et sans volonté. Il semble plus indépendant des autres parties "Ni toi ni lui n'avez aucun contrôle sur moi".
         
          Le Mental prend la parole en premier, inquiété par quelque chose d'anormal. Le Corps répond à son appel et les deux parties entrent dans ce qu'il semble être leur première communication : après s'être présentées et reconnues, les parties partagent leurs inquiétude. L'Esprit intervient dans leur discussion et semble totalement inconnu des deux autres parties "Mais non, [...] c'est moi. Tu peux m'appeler l'esprit". Les trois parties semblent avoir été jusqu'à présent totalement autonome, n'ayant pas eu le besoin de communiquer l'une avec l'autre auparavant. Pourtant, c'est l'unité de ces trois parties qui constitue Joker, et c'est l'état critique de ce dernier ("Notre bonhomme a été descendu"), la souffrance dans laquelle les place toutes trois la situation ("On est tous dans cette merde ensemble") qui les force a entrer en communication, à confronter leurs point de vue pour décider ensemble du sort de Joker.
 
         
En effet, les trois parties de Joker sont présentées comme trois individus à part entière qui ont pouvoir de vie et de mort sur lui. Tandis que le Mental semble chercher à comprendre, à maîtriser la situation, l'Esprit reste en retrait. Le Corps, souffre, et n'a qu'une seule préoccupation : survivre. Le Mental, plus pratique, nuance le propos du Corps en expliquant les "Règles" de ce qu'il perçoit comme un "jeu" : "Pas forcément. Ce sont eux, les autres, qui jouent à ce jeu. Je ne suis pas sûr que nous ayons le droit d'intervenir. [...] Perdre des hommes semble être justement tout l'interêt du jeu". L'Esprit exprime alors sa volonté de partir, de quitter le conflit, lassé des propos de Mental. Le Mental et le Corps réagissent alors différemment : le Mental ne veut pas qu'il parte, semble avoir besoin de lui, alors que le corps se contenterait d'une association avec le Mental. S'ensuit un jeu des influences entre le corps et l'esprit, le mental hésite avant de se mettre du côté du corps et de laisser Joker en vie.
        Dès que L'association entre le Mental et le Corps visant à sauver la vie de Joker se décide, l'Esprit s'insurge et décide de partir "dites lui, à cet homme, que je suis porté disparu au combat". Blessé  par balle, le Corps a dû s'associer avec le Mental, qui incarne les valeurs militaires, pour que Joker survive. C'est en surmontant cette épreuve qu'il devient véritablement un soldat, c'est en effet dès lors le Mental qui assure seul toutes les capacités de réflexion du Marine. La survie de Joker ne s'est donc pas effectuée sans une perte de son intégrité, l'Esprit symbolisant le libre arbitre, qui le caractérisait en tant qu'individu à parts entières. Joker incarne alors pleinement la devise qu'il récitait par coeur lors de sa formation : "My rifle is human, even as I, because it is my life."

 

Ce court extrait diffère de tout le reste du roman. En effet, Gustav Hasford "profite" d'un Joker inconscient pour introduire un discours quasi-psychédélique, symbolisant cette perte d'intégrité par des allégories. Le point de vue interne est poussé à l'extrème par ces divagations : au lieu de l'elipse narrative utilisée la plupart du temps lors de l'inconscience du Narrateur, le lecteur assiste à une lutte intérieure décidant de la survie de ce dernier. Il accède alors à des connaissances sur la psychologie de Joker que celui ci ignore lui même, et le récit des évenements prend dès lors une toute autre ampleur, car le lecteur a pri conscience que Joker est perdu dans l'horreur du conflit, et que sa survie physique s'est effectuée au détriment de sa survie psychologique. Cet aspect fondamental du livre n'est pas présent explicitement dans le film : Joker n'est pas blessé et la psychologie des personnages est exprimée beaucoup plus implicitement .

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article